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La poule pond
1 avril 2019

À couper au couteau

On ne peut pas se tromper. Avant d'arriver à l'étang, c'est la première route à gauche. La première et la seule. Pas de confusion possible. Sur la droite ce n'est qu'une succession de pavillons individuels. La première. Un vieux mur couvert de lierre. Tu vois le vieux mur, Nicole ? Je sais que tu vois. Tu as l'œil pour repérer les végétaux. Un vieux noble lierre qui couvre un vieux mur de vieilles pierres roturières. Tu tournes à gauche AVANT l'étang. Tu longes le mur au lierre sur une centaine de mètres. C'est là. On ne peut pas se tromper.

 

Mais comment elle a fait pour se perdre ? On ne peut pas se tromper. Une seule route. Une seule sur la gauche. Avant l'étang. Elle a dépassé le mur au lierre, a longé l'étang (je lui avais dit AVANT l'étang), a filé vers la déchèterie, a dépassé la ferme des Jean, et là, j'imagine, elle a commencé à se poser des questions.

 

J'ai fait un demi-tour sur le parking de la coopérative, suis revenue sur mes pas, ai de nouveau longé l'étang puis j'ai tourné à droite en arrivant au vieux mur au lierre. Pas de quoi en faire une salade. À peine vingt minutes de retard.

 

Sur le coup, ça m'a surprise. Je suivais la voiture de Nicole. Elle n'a pas ralenti en approchant du vieux mur. Elle a filé tout droit. Je n'ai pas réfléchi plus, j'ai mis mon clignotant et j'ai tourné à gauche. J'ai appelé Pierrot pour lui dire que j'avais vu filer Nicole vers la déchèterie. « Elle est pas ouverte à cette heure ! » C'est tout ce qu'il a trouvé à dire, ce grand dépendeur d'andouilles.

 

On est quel jour, Maman ?

 

Quoi, quel jour ? Aujourd'hui ? Je ne sais pas. J'ai oublié ton anniversaire ? Tu es née en juillet ! Ne me raconte pas d'histoires, on sort tout juste de l'hiver. Tu crois que je perds la boule ? C'est ça, tu te dis que ta mère est folle ? Il y avait un brouillard à couper au couteau, ce matin. Je ne l'ai pas vue cette saloperie de mur.

 

Maman, il n'y avait pas de brouillard ce matin.

 Dans ma voiture, ma chérie, il y en avait. À couper au couteau... On est mardi 2 avril, là. Tu es rassurée. Mardi 2 avril. Tu veux aussi que je te donne le code de l'entrée ?

 

— Maman !

Oui, pardonne-moi ma chérie, je pensais encore à lui. Bien sûr. Je sais... ce n'était pas du brouillard. Ne dis rien... Je sais...

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Commentaires
P
Rêver qu'on conduit, ça, je peux.
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P
Oui, c'est pourquoi je conduis rarement. C'est tout un art de s'empêcher de rêver.
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C
Intriguant, ce texte... Les pensées étaient embrumées, je suppose... Mais c'est vrai qu'il vaut mieux rester concentré quand on conduit, une connerie est si vite arrivée...
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P
Rassure-toi, c'est une fiction, Valérie. Quand j'écris que ma mère est une ogresse, c'est de la fiction. Tu sais bien que je n'écris pas si je ne suis pas en état de le faire.<br /> <br /> Le prochain texte sera plus gai.
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P
Oh, un être cher qui manque (un départ, un abandon, une fin prématurée… ou un prétexte...) Rassure-toi ce n'est pas le texte plein de gaieté promis ; juste un petit scénario pour la sécurité routière. Quand on conduit on ne doit pas laisser divaguer ses esprits : on commence par manquer un embranchement et puis un jour on se retrouve en Patagonie sans l'avoir voulu. Et il ne faudra pas compter sur Pierrot pour qu'il vienne te rechercher. C'est une histoire à trois balles, comme l'intitulé de la catégorie l'indique. Tu peux remplacer Nicole par Philippe et connaissant sa propension à se perdre en rase campagne, tu devines que le mur de lierre, ce serait bien lui qui l'aurait un jour manqué. On ne devrait pas donner le permis de conduire à ceux qui rêvent éveillés.
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