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La poule pond
20 mars 2019

Lâcher prise

Adam a dix ans. Dans son école, des lecteurs bénévoles lisent des albums ou des extraits de livres divers. Projet des enseignantes. Partenariat avec l’association « Lire et Faire Lire ». Les enfants sont, sinon bénévoles, du moins volontaires.

 Un lecteur. Quatre tapis de gym. Six enfants des deux sexes. Trente à trente-cinq minutes, parfois quarante.  Dans ce groupe-ci, le lecteur aime s’allonger à plat-ventre parmi les enfants. Le livre est posé  sur le sol, chacun peut suivre des yeux ou les illustrations ou le texte, ou pas, certains croisent les mains derrière leur tête et regardent au plafond. Certains assis en tailleur.

 Adam, lui, s’endort. À chaque séance. Tout à l’heure, dans la cour, il tapait dans un ballon comme les autres. Pas en reste. Il s’endort, à chaque fois. En moins de dix minutes. Il ne lutte pas contre le sommeil. Il lâche prise et les mots du lecteur le bercent.

 Informée une première fois par les autres élèves, la maîtresse ne dit rien. Désormais les camarades sont amusés, mais eux viennent pour les livres. Depuis le début de l’année, ils se sont habitués. Adam va s’endormir. Le lecteur ne dit rien. Il est surpris de son pouvoir.

 Adam lâche prise. Que rapporte-t-il de son voyage ? Est-ce un sommeil sans rêves ? Adam, ne dit rien quand il est l’heure de se relever. Il n’aide pas non plus à replier les tapis en fin de séance. S’il s’est endormi la première fois et qu’il rejoue la scène à chaque séance, alors c’est un fin comédien ; on jurerait qu’il revient de loin. Ses yeux n'ont pas encore tout à fait repris leur place.

 Hier encore. Le coin de préau habituel étant en travaux, les tapis de gym avaient été installés dans le bureau de la directrice. Le cadre était inhabituel. Le thème du jour : correspondance entre  un Poilu et son épouse, suivie d’une série de lettres de demande en mariage d’un renard à la maman d’une petite poule qu’il aimerait inviter à déjeuner dans son terrier pour sceller l‘union.

 Adam s’est endormi dans le fracas des obus, sans avoir entendu cette dernière lettre d’Angèle à son mari, celle qui a mis la larme à l’oeil  du lecteur (mais lui, ça ne compte pas, c’est une poule mouillée et ça ne date pas d’hier) et de quelques petits auditeurs captivés.

 Adam, lui, fidèle au rendez-vous, a lâché prise.

 Rideau.

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18 mars 2019

Tu l'as dit, Boris

« Toulouse : un couple de personnes âgées frappé par des CRS en marge d’une manifestation. » Plus loin, on apprend que « les membres du couple pouvaient avoir entre 55 et 60 ans. »


C'est un peu fort de café ! Cette dépêche matutinale — hommage au grand Philippe (le « Meyer » que j'aie jamais connu) — me chatouille le gland, comme dirait mon époux, et la tasse m'échappe répandant sa liqueur sur le journal puis sur la table qui, bonne camarade, en laisse dégouliner une partie sur le carrelage d'la cuisine. J'en connais un qui s'ra bon pour passer la serpillière, quand il aura fini d'soigner ses écorchures devant le miroir d'la salle de bains.

Oui, j'suis vénère les filles !

1/ Que des personnes âgées soient en couple ?

Nenni, ma sœur Anne, les gigolos ont beau cadancher de bonne heure sous nos cieux pourtant cléments, des Jules et des Marcel qui donnent la paluche à Mémère, on en croise souvent dans les manifs. Ma colère n'niche pas là.


2/ Que l'affaire ait eu lieu à Toulouse ?

Non, Toulouse, Brive-la-Gaillarde ou Conflans-Sainte-Honorine, toutes les avenues du monde mènent Place de l'Étoile. L'affaire a eu lieu à Toulouse parce qu'on n'défilait pas à Ramonville, putain ! Toulouse, ça rime avec Saint-André-de-Briouze. Ça rime avec partouze aussi, c'est vrai, mais c'était pas encore l'heure. C'est pas non plus une raison, mon Loulou, pour laisser croire que Ramonville rimerait avec bouse, on s'comprend. Voilà, cette fois-ci, c'était à Toulouse, circulez, c'est là-bas qu'ça s'passe !


3/ Frappé par des CRS ?

Alors là, non, pas d'colère ici : le CRS cogne, c'est dans ses gènes ; le couple prend une rouste. On l'a bien cherché, on s'y attendait, même qu'on aurait été vexés si les cognes nous avaient offert du muguet. Du muguet en mars ! Des violettes encore, ça aurait été raccord avec les ecchymoses. Coup pour coup, ton sur ton, cogne Gaston. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les vaches étaient bien gardées ; putaing, les roussins, i' s'y sont mis à  douze quand même.

4/ En marge d'une manifestation ?

Non ! La marge, c'est c'qui s'rapproche le plus de la marche. Une marche occitano-pacifique, atlantico-manifesto-margino-populo, mediterranéo-boulot-dodo, en avant Marge, comme dit mon Homère à moi. 

5/ Entre 55 et 60 ans ?

Oui. C'est ici que gît le hic. Celui de la maxime latine. « Hic jacet lepus. » Je fais sobre où mon Bébert se dilue. Lehicnichlà, il aurait dit en aspirant son « h » si son nez n'était pas tant épaté. J'ai pas dit qu'il sniffait d'la coke, rapportez pas des menteries, mon Rodrigue est sobre comme un trente-cinq tonnes.

5 bis/ Un couple de personnes âgées !

Nom de Dieu, Jésus, Marie, Joseph ! tu pars à la manif pour retrouver tes copines et les frangins à ton gros, histoire d'aller vérifier si le pouls des poulets en batterie derrière leur bouclier antinucléaire en plastique transparent bat la chamade devant tes charmes à consommer mûrs à point et c'est la presse qui te fait prendre vingt piges d'un coup — vingt piges ? je vous en remets dix, ça f'ra trente, c'est le canard qui régale —, comme ça, sans crier ni guerre ni paix, mon Léon. Oh, le môme ! à peine sorti d'l'école de journalisme et déjà équipé d'un port d'armes létales quatre couleurs.

5 ter/ Un couple de personnes âgées !

Non, sa mère le torchait encore hier et il vous crache aux rides ! Mais, ma grand-mère — jeune couillon à barbe molle — ma propre grand-mère, si j'lui accolais un tel attribut au-dessus de la tête, à elle et à son Roméo au crâne calciné auréolé d'une couronne de cheveux blancs, sûr qu'elle me priverait de dessert jusqu'au troisième dimanche après la Pentecôte.

5 quater/ Un couple de personnes âgées !

Messieurs les CRS et mesdames — paraît qu'y a des Roseline et des Mathilde dans vos rangs —, s'il vous plaît, auriez-vous l'extrême obligeance de frapper un poil plus fort. Avec les pieds ? Mais, c'est un honneur que vous nous feriez. On n'est pas v'nus pour voir le défilé, on est venus pour s'faire déglinguer ; et n'oubliez pas mon Nanard, l'est pas encore à la r 'traite l'anar, il serait humilié à moins de quinze jours d'ITT !

5 quinquies/Un couple de personnes âgées !

Putain, le beurre de karité, quel attrape-couillonne, quand même !

17 mars 2019

Tripes de poule

Cet homme est une poule.

Pour le raisonnement, un coq, ça ne va pas.

Une poule !

 La poule pond.

C'est elle qui fait son œuf, mais la chimie de la fabrication lui échappe. L'œuf est prêt, elle pond. Et encore, c'est toujours la chimie qui lui enjoint d'aller s'asseoir sur la paille.

 Elle pond.

 

Parfois une poule ne pond plus. Demandez à Marie-Claude, elle vous dira, elle dont c'est le métier de mettre en boîte de six, de douze, de vingt-quatre, de soixante-quatre, les œufs frais pondus du jour à « La Ferme de Marie ». Elle va essayer, la poule, ça ne marchera pas.

En ce qui concerne l'écriture, cet homme est une poule . Un texte mature dans ses entrailles. Il ne sait pas trop où. Autrefois, il aurait dit : le cerveau ; maintenant, il paraît que ses intestins seraient aussi mis à tribut. C'est moins noble, mais c'est quand même de l'humain.

 Enfin, ça mature.

Laissons mûrir. Fermenter.

 

Un matin, ou un soir : une démangeaison. Il s'assied devant une page jaune paille et pop, un œuf.

 Un œuf ! Bien sûr, c'est lui qui l'a fait, enfin... pondu. Forme parfaite, équilibré, fini. Pas un œuf qui n'aurait pas de coquille, ou vide, pas un coquatrix, non, un œuf parfaitement ovoïde. C'est le moins qu'on lui demande. Plein. Fini. Ça ne se retravaille pas un œuf, c'est terminé au premier essai. Personne n'aurait pu le pondre à sa place. Alors il est à lui. Mais il ne sait rien de son alchimie. Lui, il est le vecteur du texte. Un alambic. Un alambic, avec ses serpentins, c'est intestinal comme objet. Il y aurait du vrai que l'écrit ça sort des tripes.

 

Tripes de poule !

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