Lâcher prise
Adam a dix ans. Dans son école, des lecteurs bénévoles lisent des albums ou des extraits de livres divers. Projet des enseignantes. Partenariat avec l’association « Lire et Faire Lire ». Les enfants sont, sinon bénévoles, du moins volontaires.
Un lecteur. Quatre tapis de gym. Six enfants des deux sexes. Trente à trente-cinq minutes, parfois quarante. Dans ce groupe-ci, le lecteur aime s’allonger à plat-ventre parmi les enfants. Le livre est posé sur le sol, chacun peut suivre des yeux ou les illustrations ou le texte, ou pas, certains croisent les mains derrière leur tête et regardent au plafond. Certains assis en tailleur.
Adam, lui, s’endort. À chaque séance. Tout à l’heure, dans la cour, il tapait dans un ballon comme les autres. Pas en reste. Il s’endort, à chaque fois. En moins de dix minutes. Il ne lutte pas contre le sommeil. Il lâche prise et les mots du lecteur le bercent.
Informée une première fois par les autres élèves, la maîtresse ne dit rien. Désormais les camarades sont amusés, mais eux viennent pour les livres. Depuis le début de l’année, ils se sont habitués. Adam va s’endormir. Le lecteur ne dit rien. Il est surpris de son pouvoir.
Adam lâche prise. Que rapporte-t-il de son voyage ? Est-ce un sommeil sans rêves ? Adam, ne dit rien quand il est l’heure de se relever. Il n’aide pas non plus à replier les tapis en fin de séance. S’il s’est endormi la première fois et qu’il rejoue la scène à chaque séance, alors c’est un fin comédien ; on jurerait qu’il revient de loin. Ses yeux n'ont pas encore tout à fait repris leur place.
Hier encore. Le coin de préau habituel étant en travaux, les tapis de gym avaient été installés dans le bureau de la directrice. Le cadre était inhabituel. Le thème du jour : correspondance entre un Poilu et son épouse, suivie d’une série de lettres de demande en mariage d’un renard à la maman d’une petite poule qu’il aimerait inviter à déjeuner dans son terrier pour sceller l‘union.
Adam s’est endormi dans le fracas des obus, sans avoir entendu cette dernière lettre d’Angèle à son mari, celle qui a mis la larme à l’oeil du lecteur (mais lui, ça ne compte pas, c’est une poule mouillée et ça ne date pas d’hier) et de quelques petits auditeurs captivés.
Adam, lui, fidèle au rendez-vous, a lâché prise.
Rideau.