Tu n'en as jamais marre, Philippe ?
Le coup du râteau ? Un must du cinéma muet. Comme celui du tuyau d'arrosage comprimé d'un lourd sabot facétieux. Le coup du gars qui marche sur les dents de son râteau et qui se prend le manche en « pleine face » comme on dit ici.
En version bêche.
Nous creusions* la mare de Laurette. Oui, ici, pour se détendre, entre deux érections de bâtiments agricoles, on creuse des mares dans l'argile bleue.
Or donc, tous les deux, nous creusions. Chacun son outil. De l'eau plein les bottes. Nous rejetions les lourdes mottes sur la berge. La mare prenait formes. « Plus la longueur des berges sera grande, plus de diversité biologique on accueillera », d'où le pluriel à « forme ».
À un moment, j'ai plongé les deux mains (et les avant-bras, j'avoue) dans l'eau trouble pour arracher à la glaise un énorme parallélépipède que la bêche avait tranché et que, malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à décoller du sol. Pour ce faire, la bêche avait été rejetée un peu plus loin sur le talus. Plus loin ? Enfin pas tant, comme l'histoire va montrer bientôt.
Mes lunettes étaient-elles plus maculées de boue que je ne pensais ? La fatigue plus forte que je ne soupçonnais. Ma lucidité amoindrie ? Bref, cet énorme bloc de boue, enfin extirpé de sa gangue adhésive, je l'ai envoyé droit sur le fer de la bêche dont le manche (par un effet mécanique de levier) m'a bondi au visage. La rencontre de la poignée triangulaire avec mon front m'a mis KO. Je suis tombé tête la première, assommé, dans la flaque. Si Laurette ne m'avait pas retenu, je me noyais dans une mare argileuse bleutée.
Mon chapeau de toile ayant amorti le choc, je recouvrai rapidement mon esprit (depuis longtemps je ne dérange plus le pluriel). Mes lunettes étaient sauves, le choc s'étant produit un sourcil plus haut que la monture. Je porte au front une marque en forme d'étrier. Elle s'estompera.
J'ai repris l'excavation à mains nues en faisant semblant de ne pas me plaindre. Tous les deux, nous avons creusé encore une petite heure et quand Laurette a entrepris de façonner les berges à l'imitation de Niki de Saint Phalle et Botero réunis, j'ai prétexté mon faible talent de sculpteur pour rentrer me laver, soigner ma bosse et rédiger une supplique aux industriels afin de les contraindre à fabriquer des manches d'outil en guimauve (voire en beurre d'érable, pour la couleur locale).
* À quoi cela sert-il de creuser des mares ?
Abreuver les animaux ? Nenni !
Élever des carpes koï ? Nenni !
Offrir une patinoire aux enfants, six mois dans l'année ? Nenni ! Quoi que, à bien y réfléchir, qui sait ? Un usage peut toujours en cacher un autre. À suivre.
Allez, je donne la solution : héberger des grenouilles** qui mangeront les larves de maringouins qui se développent dans les eaux stagnantes*** et, accessoirement, pour le plaisir de l'œil, à attirer les libellules..
** Également, me souffle Laurette, à drainer les eaux stagnantes pour les rassembler en un même point où les rainettes du Canada pourraient festoyer tout le jour et chanter toutes les nuits. Elles dorment bien dans la vase tout l'hiver, elles peuvent se passer de repos en été. Il y a donc une logique à tout cela. Logique que, comme le manche de la bêche, je n'avais pas vue venir.
*** Assécher toutes les mares de la province ne permettrait-il pas de supprimer la prolifération des moustiques ? Bonne question et bon courage à qui tentera d'assécher tout le territoire québécois.
Bon, je sens que le lecteur en a bientôt marre. J'arrête.